À la sortie de l'amphithéâtre Nelson-Paillou du CNOSF, une dame annonce : « Ce soir (samedi 25 juin), je ne serai pas là. Je ne travaille pas dans cette Fédération-là. Je rends mon tablier. Les présidents de club sont tombés sur la tête. » Depuis quelques minutes, la présidente de la Fédération française des sports de glace n'est plus Nathalie Péchalat mais Gwenaëlle Gigarel-Noury. La présidente du petit club de Lorient, inconnue jusqu'à il y a quelques mois dans le petit monde des sports de glace français, a obtenu 452 voix (soit 52,3 %) contre 412 à son adversaire (47,7 %). À l'issue des discours, c'est pourtant la présidente sortante qui avait été la plus applaudie.
Nathalie Péchalat (38 ans) ne sera restée qu’un peu plus de deux ans à la tête de la Fédération française des Sports de glace. Élue en mars 2020, juste avant le premier confinement, suite à la démission de Didier Gailhaguet, accusé d’avoir couvert les agressions sexuelles et viols de Gilles Beyer sur Sarah Abitbol dans les années 1990, l’ancienne danseuse sur glace était candidate à sa réélection ce samedi, mais elle a été battue. Elle n’a en effet recueilli que 47,2% des voix, contre 52,8% en faveur de son opposante, Gwenaëlle Gigarel-Noury, totalement inconnue du grand public, suite au vote des 162 présidents de club réunis ce samedi à Paris.
En deux ans, le bilan de la nouvelle présidente est mitigé. Nathalie Péchalat a modernisé et restructuré la fédération, mis en place des mesures de prévention contre les violences, mais les clubs la jugent trop lointaine et froide, les ex-athlètes de haut niveau lui reprochent de diriger seule. « Elle m’a écarté, dénigré, alors que je proposais mon aide, témoigne Philippe Candeloro. Elle veut garder le pouvoir sans partage, elle retombe dans les travers de ses prédécesseurs. » Les victimes de violences sexuelles lui reprochent de n’avoir pas manifesté d’empathie vis-à-vis d’elles, et de n’avoir pas vraiment « fait le ménage » au sein de la fédération, par exemple en laissant à un poste de haute responsabilité Annick Dumont Gailhaguet, ex-femme de Gilles Beyer (l’agresseur de Sarah Abitbol) et ex-femme de… Didier Gailhaguet.
« Deux ans, c’est court », se défend Péchalat
Ces reproches, Nathalie Péchalat les balaie : « On a énormément bossé. Le bilan de ces deux ans est positif sur l’éthique, le juridique, le sportif, le relationnel et l’organisationnel. J’ai dû prioriser tout en faisant face à la crise : sanitaire, économique et fédérale avec les scandales liés aux violences sexuelles et la crise juridique avec la menace du retrait de l’agrément ministériel. Il fallait aussi redorer l’image de nos sports sur le plan national et international. Il y a forcément des dossiers qu’on n’a pas eu le temps de traiter. Deux ans, c’est court. »
Nathalie Péchalat est loin d’avoir convaincu, mais la candidate en face d’elle soulève carrément un vent de panique. Pas parce qu’elle a une mauvaise réputation, « personne ne connaît cette Gwenaëlle Gigarel-Noury, présidente d’un club à Lorient ! », s’étonne Didier Lucine, entraîneur pilier du patinage artistique. La candidate provoque la panique parce qu’elle serait soutenue par… Didier Gailhaguet. L’ex-président ne peut pas être lui-même candidat, Nathalie Péchalat ayant fait voter de nouveaux statuts interdisant de faire plus de trois mandats. « Depuis deux ans, il a monté une équipe, et fait le tour des clubs, assure Didier Lucine. Il essaie de les convaincre de voter pour Gwenaëlle Gigarel-Noury. Cette candidate est une marionnette ! Il va mettre une marionnette à sa place, et reviendra après la tempête, il a toujours fait comme ça ! » Nathalie Péchalat confirme : « Je ne peux pas vous dire grand-chose sur mon adversaire, je ne la connais pas, elle n’a pas souhaité débattre. Mais on sait que Didier Gailhaguet est derrière elle, plus ou moins dans l’ombre. Il est inéligible mais participe activement à sa campagne. ». Didier Gailhaguet a récusé dans « le Journal du Dimanche » toute manipulation de la candidate.
Un résultat très serré
« Son retour, quelle que soit sa mission, serait un véritable coup d’arrêt au développement de nos disciplines sportives et un retour aux anciennes méthodes », prédisait d’ailleurs avant le vote Nathalie Péchalat. « S’il revient, ce serait un retour en arrière désespérant!, s’étrangle Anne-Line Rolland, qui a été victime d’un entraîneur quand elle avait 12 ans. On aurait donc mené tout ce combat pour que des directeurs de club réélisent quelqu’un qui n’a jamais soutenu les victimes ? » Même inquiétude chez Sarah Abitbol. « S’il revenait, ce serait une gifle pour toutes les victimes, et symboliquement terrible pour notre sport », témoigne l’ex-championne, qui regrette une élection « ubuesque. Si on arrive à cette situation, c’est aussi parce que Nathalie Péchalat n’a pas voulu s’appuyer sur les clubs et les anciens sportifs de haut niveau. Je n’ai cessé de dire que j’étais disponible, avec mon association, pour travailler avec la fédération… elle n’en manifeste pas l’envie ». Ultime rebondissement : une pétition « contre le retour de Didier Gailhaguet » a été lancée quelques jours avant l’élection ; pétition qui a réuni plus de 500 signatures. On pouvait y lire que « le pire serait pour la FFSG de voir revenir “masqué” son ex-fossoyeur dont les pratiques tant décriées ont jeté à travers ses présidences successives un discrédit moral incompatible avec l’image et la valeur pédagogique et culturelle des disciplines dont cette fédération s’honore ». Qui a initié cette pétition ? Nathalie Péchalat récuse que ce soit son équipe. Des noms circulent, dans une ambiance de suspicion générale.
A suivre dans les mois à venir
Didier Gailhaguet ne pouvait pas se présenter puisque Nathalie Péchalat qui avait fait voter une limitation à trois du nombre de mandats à la tête de la Fédération. Président de la FFSG de 1998 à 2004 puis de 2007 à 2020, l’ancien patineur et entraîneur de 68 ans s’est retrouvé derrière la candidature, et donc la victoire, de Gwenaëlle Gigarel-Noury, qui ne s’est pas exprimée dans les médias avant l’élection. « Il y a des sujets dont je n’ai pas pu m’occuper pendant deux ans, c’est pour ça que le programme est tourné vers l’avenir, avait confié Nathalie Péchalat dans L’Equipe et à l’AFP. L’ex-président avait d’ailleurs analysé la situation, confiante, peut-être trop : «Je me dis que la majorité des présidents de club n’est pas dupe et sait bien ce que risque la fédération et eux par ruissellement. Faire revenir Didier Gailhaguet, ce serait se tirer une balle dans le pied. (…) L’ombre de Didier Gailhaguet n’a jamais quitté la fédération. Ce qui me dérange, c’est la bataille qu’il mène à titre personnel, en estimant que la fédération ne peut pas tourner sans lui. J’ose espérer que les présidents de clubs ont envie d’aller de l’avant. » Visiblement une analyse et un point de vue qui n’a pas été partagé par la majorité des présidents de club.
Sources: L’Équipe (Clémentine Blondet); le Nouvel Obs (Emmanuelle Anizon); sur la photo: Gwenaëlle Gigarel-Noury entourée de son trésorier Loris Bertrand et son secrétaire général Patrice Martin. (FFSG/FFSG)
